La fatigue et la culpabilité

Dessin de couronne de fleurs, avec écrit au milieu "je suis fatiguée"

En mars 2018, après mon diagnostic du SED, j’ai passé un examen du sommeil, une polysomnographie, pour s’assurer que ma fatigue et ma somnolence diurne n’était pas du à un syndrome des jambes sans repos ou une apnée du sommeil. Bonne nouvelle, je ne suis concernée par ni l’un, ni l’autre. En octobre, j’ai rencontré le neurophysiologue qui a interprété cette polysomnographie, et si les premières conclusions mettaient en évidence un sommeil complètement déstructuré, lui n’y a vu aucune anomalie. En revanche, il a évoqué la possibilité d’une hypersomnie idiopathique; pas devant moi, malheureusement, mais dans un compte rendu reçu quelques semaines plus tard. Parmi les récits (et je l’en remercie grandement) m’a conseillé le blog de Spoonie ville qui m’a beaucoup éclairé sur ce qu’est cette pathologie. Je vous invite à lire son blog et la catégorie hypersomnie idiopathique pour en apprendre plus.

De mon côté, je me suis retrouvée dans ses articles; j’ai retrouvé l’enfant qui s’endormait si tard mais qui n’émergeait réellement que pendant l’après midi, l’ado qui répétait continuellement « je suis fatiguée, si fatiguée », puis la jeune femme qui a essayé d’aller à la fac mais qui n’arrivait plus du tout à sortir du lit le matin (la honte), puis qui a essayé de s’insérer dans la vie active, toujours sans succès (la culpabilité). On m’a bassiné avec ces conseils à la con, que j’ai pourtant voulu suivre, par bonne volonté, mais j’étais toujours épuisée. A 22 ans, je me sentais comme une vieille personne, je dormais plus de 12h par jour et j’étais épuisée. J’appelais mes employeurs pour m’excuser du retard, en inventant toujours des prétextes bidons (je ne pouvais pas dire que je n’avais pas réussi à me réveiller), puis je perdais mes emplois, ne dépassant que rarement les périodes d’essais. A l’époque, on mettait ça sur le compte de ma dépression, des troubles alimentaires, puis d’une hygiène de vie catastrophique. Puis plus tard, on a collé l’étiquette fourre tout « syndrome de fatigue chronique ».

Aujourd’hui, je ne dors plus 12h par jour, j’ai réussi à descendre à 9h, 10h de sommeil. Pour y arriver, il a fallu que j’accepte que j’avais un problème et que je ne pourrai jamais me coucher vraiment tôt, me lever tôt, être active tôt et ne plus être fatiguée. Déjà, ça permet de culpabiliser un chouya moins, mais ce chouya moins fait beaucoup de bien. Parce que c’est vraiment la honte de ne pas être capable de sortir de ce lit et de ce sommeil qui me retient prisonnière, pendant que des gens se lèvent horriblement tôt, prennent sur eux et vont bosser. C’est déjà culpabilisant de ne pas faire comme tout le monde, de ne pas (pouvoir) travailler, rajouter à cela les « grasses matinées » pourtant vitales, on en vient vite à se traiter soi-même de fainéante, de bonne à rien et d’inutile.

Le neurophysiologue que j’ai rencontré ne m’a pas jugée quand je lui ai répondu que je m’endormais aux alentours de 1h pour me lever aux alentours de 11h. Il n’a pas sourcillé quand je lui ai dit qu’il me fallait plusieurs réveils (de la part de mon amoureux si compréhensif) et une volonté de fer pour m’extraire de mon sommeil. Il n’a pas fait comme les autres, se moquer, me dire de me coucher plus tôt, ou me parler de volonté et d’hygiène de vie. Quand je lui ai expliqué ce qu’il se passe si je me lève plus tôt, les migraines, les nausées, cet impression de brouillard, qui persiste pendant plusieurs jours, il ne s’est pas étonné. Pour la première fois de ma vie, je ne me suis pas sentie jugée parce que je suis épuisée, au contraire. Et je crois que toute personne dans cette situation devrait pouvoir rencontrer ce genre de médecin, habitué aux pathologies du sommeil, pour s’entendre dire « ce n’est pas votre faute ».

Ce médecin a décidé de me refaire passer une polysomnographie ainsi qu’un test itératif de latence à l’endormissement, que j’expliquerai dans mon prochain article. Cet examen, je l’ai passé le mois dernier, et je ne revois le neurophysiologue qu’en octobre. A ce moment là, il sera peut-être question de traitement psychostimulant. J’avoue n’avoir aucune attente, parce que je me suis « habituée » à cette fatigue et parce qu’elle est aussi une conséquence de mes autres pathologies. J’essaie de ne pas me faire de faux espoirs, mais évidemment que je rêve qu’elle disparaisse.

Je suis en train de me rendre compte en rédigeant cet article, qu’il est moins honteux et humiliant pour moi d’expliquer à des personnes qui veulent me coller des rdv le matin que je suis indisponible à cause des troubles digestifs et des nombreux passages aux wc, que de dire « en plus de ça, je n’arrive pas à me réveiller, et si j’y arrive, je suis complètement jetlaguée pendant une semaine, je suis malade et ne peut plus rien faire ».

Ce n’est pas un symptôme qui semble prit au sérieux, car tout le monde expérimente la fatigue, et beaucoup sont reposés après une nuit de sommeil. Alors ça peut sembler difficile à concevoir qu’il ne suffise pas de dormir pour ne plus se plaindre de fatigue, ou que si l’on se plaint de fatigue, on puisse subir des insomnies. Pire encore, comment pourrions nous être fatigués alors qu' »on ne fait rien de nos journées »?

5 commentaires sur “La fatigue et la culpabilité

  1. Forcément je me reconnais dans tes mots… (Et je suis très touchée que les miens aient pu t’éclairer)

    Avoir « tout le temps sommeil »… Être « fatigué »… Tu as raison, ce n’est pas pris au sérieux. Et pourtant, les gens qui nous jugent en pensant qu’on « devrait faire un effort » n’ont en réalité AUCUNE idée de ce qu’est cette fatigue, cet épuisement qui nous tient prisonniers. Ce qu’ils appellent fatigue, c’est un timide signal qu’il faut se reposer ; c’est constructif, positif, puisqu’inscrit dans le cycle de leur activité et leurs efforts. Pour nous, la fatigue c’est devoir puiser dans les réserves pour réussir à se mettre debout alors qu’on n’en a ras le bol de rester allongé.
    Et souvent, on puise même encore un peu plus. Pour faire semblant que c’est facile, de se lever.

    Je t’envoie toute mon affection, tout mon soutien. Merci pour cet article très touchant.

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    1. Je partage complètement ton point de vue! En fait, on ne devrait plus parler de fatigue mais d’épuisement : c’est plus proche de la réalité, il faut puiser dans des réserves qui sont déjà quasi épuisées au moment où on se réveille.

      Merci à toi, je t’envoie tout mon soutien également

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  2. Woua.. J’avais besoin de lire ça ! Je me reconnais tellement dans ce que tu décris… L’impossibilité de m’endormir tôt, même si je suis épuisée. Les nausées ou vomissements et le mal de tête si je ne dors pas assez. La difficulté de se réveiller et la sensation d’épuisement…
    J’ai d’ailleurs parler de ce sujet dans un article (« plutôt du soir ou du matin? ») et du fait que je remettais en question cette notion de « rythme ».. Il faut se lever tôt, ne pas se coucher trop tard, dormir environ 8h.. Alors que certaines personnes ne semblent simplement pas faites pour ça et luttent et souffrent des années en se forçant à coller à ce rythme. Je vais aller lire le blog que tu mentionnes et reviendrai dès que possible te lire, j’ai vu que tu en avais reparlé. Je te remercie pour ce partage, très précieux pour moi 🙂 A bientôt !

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    1. Avec plaisir, j’ai écrit cet article pour contrer un peu tous ces articles culpabilisants qui t’encouragent, pour être en forme, à faire ci et ça sans prendre en compte qu’on est tous différents. Je vais aller lire ton article! 🙂

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